Vous connaissez cette blague sur le cannibale qui prend l’avion en première classe ? L’hôtesse lui apporte le menu, bien garni. Le cannibale la remercie, survole les plats et dit : “Je ne vois rien de bien croustillant à me mettre sous la dent. Auriez-vous l’amabilité de m’apporter la carte des passagers ?” Mon intention n’est pas de comparer à des cannibales les superriches d’Islande, qui, avec le gouvernement, nous ont expropriés. Mais, après avoir presque tout obtenu – les banques et les entreprises nationales – c’est un peu comme s’ils avaient dit au gouvernement et à l’autorité de contrôle des banques : il n’y a plus rien de croustillant au menu. Auriez-vous l’amabilité de m’apporter la carte des enfants du pays ? Je n’ai pas non plus l’intention de comparer des politiciens lambda à Kim Jong-il ou à Kim Il-sung. Pourtant, lorsque les nantis de ce pays ont demandé au gouvernement la carte des habitants, le gouvernement et son organe de contrôle semblent avoir répondu : oui, certainement. Pouvons-nous faire autre chose pour vous ? C’est une trahison pure et simple. C’est pourquoi nous ne pouvons qu’exiger – nous qui n’avons rien d’autre que nous-mêmes, nos enfants et nos petits-enfants – que ceux qui se sont enrichis à nos dépens rendent des comptes et que leurs biens soient gelés. La responsabilité qu’ils prétendaient endosser justifiait, paraît-il, leurs supersalaires. Aujourd’hui, il faudrait les prendre au mot et ne pas démordre de leur responsabilité. Au lieu de quoi, leurs pertes sont nationalisées et le système doit ouvrir une instruction sur lui-même. A l’aune d’un tel monde, Franz Kafka devient tout à coup réaliste. Certaines exigences de la population ont certes été satisfaites : le gouvernement est tombé ; la direction de l’autorité de contrôle a été remplacée. Mais le vieux système continue à bien se porter. La corruption financière s’étend jusqu’au gouvernement de Geir Haarde. Pendant ce temps, l’Islande est assise sur une dette de plusieurs milliers de milliards de couronnes, dette que nous devons rembourser, nous, nos enfants et nos petits-enfants, qui dépendons à présent tous de la bienveillance du FMI et d’autres bailleurs de fonds. Face à cette pagaille, on peut se demander si Karl Marx n’avait pas finalement raison. Un ami qui a lu l’intégralité du Capital m’explique que, dans le troisième tome, Marx parle de “capital fictif” : les profits ne reposent sur aucune valeur réelle ; des papiers sans valeur, c’est-à-dire irréels, passent de main en main. Voilà le genre de tour de passe-passe que les néocapitalistes islandais ont bricolé, eux que l’on surnommait les Vikings de l’exportation et que l’on considérait comme des hommes d’affaires chics et agiles. Eux que l’on décrivait comme des demi-dieux – dans les journaux qu’ils possédaient. Ils se consacraient à de nobles tâches, tandis que leurs épouses défendaient la cause des enfants d’Afrique. Ces hommes achetaient des parts de sociétés, devenaient majoritaires, fondaient de nouvelles entreprises, se les vendaient et empochaient les plus-values. Voilà le secret du tour de passe-passe. Et nombreuses sont les sociétés en bonne santé, productives, qui sont restées sur le carreau. Lire la suite sur http://www.agence-seminaire-islande.fr